Pessah’ – la naissance d’une nation

Par le Rav Chlomo Haïm Hacohen Aviner – chelita

C’est de la Sortie d’Égypte que date la naissance du peuple juif. Certes, pas au sens spirituel du terme – l’âme du peuple juif préexistait à sa naissance – mais au sens national. Et si tout homme possède un psychisme qui lui est propre, c’est également le cas pour une nation qui a aussi sa façon d’être, de voir, de penser et de réagir. La nature profonde du peuple juif caractérisait déjà Abraham, Itzhak et Ya’akov. Il s’agissait pour ainsi dire d’une âme nationale embryonnaire, à l’état de graine, et cette graine a germé et éclos en Égypte où est né le peuple juif.

Peut-on dès lors connaître l’âme de ce peuple, sa profondeur spirituelle ?

Le judaïsme, avant de définir les Juifs en termes de comportement, les définit en termes de nature : le judaïsme consiste précisément à conserver la nature particulière des Juifs, grâce à des mitsvot qui développent leurs tendances profondes en harmonie avec leur nature. Les mitsvot ne sont pas destinées à forger notre personnalité de Juifs, ce ne sont pas les mitsvot qui nous rendent Juifs, mais c’est parce que nous sommes Juifs que nous avons à respecter les mitsvot. Chacune des mitsvot dévoile un trait de personnalité lié à la sortie d’ Égypte ; chacune rappelle [‘zakhor’], ou plutôt actualise la sortie d’Égypte. En effet, le mot hébreu ‘zekher’ n’évoque pas un souvenir nostalgique d’un passé qui n’est plus. Il traduit plutôt l’actualisation de quelque chose qui était et existe toujours.

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La naissance d’un individu et, a fortiori d’une nation, est un événement douloureux. Israël, dès sa naissance, a connu l’exil, quatre cents ans d’exil qui ont commencé à partir de la naissance d’Itzhak.

Au cours de son existence, l’homme traverse des situations favorables et des situations défavorables. Les souffrances qu’il subit, les difficultés qu’il rencontre, ont pour fonction de l’aider à se trouver à travers le combat. Lorsqu’Abraham questionne Dieu sur sa descendance et son lien avec la Terre promise, il reçoit une réponse apparemment paradoxale : il apprend que sa descendance sera étrangère et esclave. Construction du contraire par le contraire. C’est en traversant une longue période de souffrances et de lutte que le peuple juif évolue différemment des autres peuples. Il prend des risques, il se définit par ce qui le fait autre, phénomène particulier, il est remis en valeur par les plaies discriminatoires qui frappent les Égyptiens et épargnent le peuple hébreu.

C’est précisément Phraraon qui fut le premier à s’apercevoir que les Hébreux constituaient une nation :

“Voici le peuple des enfants d’Israël, nombreux et puissants, plus que nous”  [Exode 1, 9].

Il s’agit bien de la réalisation de ce que Dieu avait promis à Abraham :

“Je ferai de toi une grande nation”  [Genèse 12, 2].

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Maïmonide s’interroge sur le fait que les mérites d’Abraham qui ont justifié le choix de Dieu ne sont pas mentionnés dans la Thora. Le Maharal explique que si le choix de Dieu avait été fondé sur les mérites d’Abraham et de sa descendance, il aurait revêtu un caractère conditionnel et donc temporaire, alors que ce choix est éternel, que le peuple soit ou non méritant [Netsah Israël chap. 11].

Certes, un individu est jugé selon ses mérites, c’est-à-dire qu’étant doté de libre arbitre, il est un individu responsable de ses actes et il doit en rendre compte. Une nation, elle, revêt une dimension supplémentaire  ; elle est une création divine que rien ne peut modifier. Et de même qu’on ne peut transformer un léopard en crocodile, on ne peut transformer un homme du peuple d’Israël en un homme des Nations. Certes le léopard peut jouer au crocodile, de même que l’homme du peuple d’Israël peut jouer à être autre chose que lui-même, il n’en reste pas moins Israël dans le fond de son âme.

Lorsque Dieu s’adresse à Abraham, il ne s’adresse pas à lui en tant qu’homme juste (d’autres, avant et après lui, furent des justes), ni en tant qu’individu, mais en tant que fondement, semence du peuple d’Israël.

Dieu crée une nation pour bien manifester au monde que la lumière de la parole divine n’est pas seulement le fait d’individus isolés, mais une nation, le peuple juif. Et la promesse faite à Abraham se réalise près de quatre cents ans plus tard, lors de la Sortie d’Égypte.

[In : ‘Le Souffle de Vie”, Jérusalem 5757 (1997), pp. 29-30.]