Il y a une différence essentielle entre le ‘lachon Hakodech’ (la ‘langue du Saint’, l’hébreu), et toutes les autres langues. Toutes les autres langues ont été formées de manière conventionnelle et utilitaire, c’est-à-dire que les mots ont eu d’emblée la valeur d’outils de communication, sans lien direct avec l’essence de l’objet qu’ils désignent. Ainsi, on aurait pu au départ échanger les sens des mots sans perturber ni la structure ni la fonction de la langue, et appeler une chaise ‘table’, et vice-versa. Le lachon Hakodech exprime au contraire la nature des choses dans son essence la plus profonde, telle qu’elle a été créée par Dieu avec des lettres et des mots.
Ce n’est pas ici notre sujet d’expliquer ce que veut dire ‘parler’ pour Dieu. Dieu est le principe-même de l’existence à son niveau le plus élevé et le plus abstrait, et il n’est limité par aucune forme d’existence corporelle, qui serait pourtant une condition indispensable pour prononcer des mots comme nous avons l’habitude de le concevoir. Il ne faut jamais perdre de vue que lorsque la Thora nous parle de Dieu ‘comme s’il’ avait un corps avec des membres, un souffle voire des sentiments humains, ce ne sont rien d’autre que des métaphores par lesquelles nous pouvons saisir, à notre niveau, ce qui ressemble le plus aux manifestations divines dont il est question. Par conséquent quand on parle de ‘parole divine’, des ‘lettres’ et les ‘mots’ qui sont les outils divins de la Création, cela renvoie à des réalités d’un tel niveau d’abstraction que nous ne parvenons pas vraiment à les concevoir.
Cependant, puisque la Thora nous dit que le monde est créé par Dieu avec des lettres et des mots, cela veut dire que les lettres et les mots que nous connaissons sont ce qui est le plus proche de ces réalités abstraites dans notre monde. Et plus que cela : puisque la Thora nous dit que l’hébreu est le lachon Hakodech avec lequel le monde est créé, cela nous indique que non seulement les créatures nommées à l’origine par les mots hébreux, mais également l’outil de création qu’est le langage saint, ont abouti à une forme concrète dans le monde où nous vivons, qui est l’hébreu. Non seulement chaque lettre de l’alphabet hébraïque sert à composer des mots qui, comme dans toutes les autres langues, servent à la communication entre les hommes, mais en plus l’ascendance profonde de ces lettres et de ces mots retrace le processus créationnel des réalités qu’ils désignent. L’étude de l’hébreu n’est donc pas seulement un exercice linguistique, mais c’est une science donnant un accès à la nature profonde de la Création.
Ceci étant posé, nous pouvons entendre que Dieu a dit : “Or” (אור), et que la lumière est venue à l’existence. Pour être encore plus précis : le mot hébreu אור est composé de trois lettres, et ces lettres sont les atomes essentiels de l’existence spirituelle de la lumière. Illustrons l’analogie entre le monde matériel et le monde spirituel avec l’exemple de l’eau : de même que la molécule d’eau est constituée par le regroupement de deux atomes d’hydrogène et d’un atome d’oxygène pour former la molécule ‘H2O’, de même l’existence de l’au est constituée par le regroupement de trois lettres hébraïques pour former le mot מים.
Les lettres ne sont pas elles-mêmes l’existence originelle, mais les véhicules de l’existence originelle. C’est-à-dire qu’un dévoilement divin spécifique est associé à la lettre מ, un autre associé à la lettre י, et un autre à la lettre ם, et que la combinaison de ces trois dévoilements divins fait exister l’eau dont le nom est מים. Voir Orot, chap. 7, note 140.
On voit par exemple que lorsqu’au début de la vie d’Adam, Dieu lui présente les animaux pour qu’il les nomme, il trouve les noms exacts, qui sont confirmés par Dieu. C’est par prophétie qu’Adam sut ‘voir’ dans chaque animal les lettres portant les dévoilements divins dont il était composé. Le lachon Hakodech n’est donc pas une langue conventionnelle et utilitaire, mais c’est la langue qui décrit l’existence dans sa profondeur originelle, car ses lettres constituent à l’origine les atomes spirituels de l’existence.