Note 5.110 – La terre d’Israël, condition nécessaire à la prophétie

La prophétie n’est possible qu’en terre d’Israël. La Guemara [Moëd Katan 25a] dit :

“Notre maître était digne que la Présence divine réside sur lui, mais Babylone l’en empêcha” – Rachi : “car la Présence divine ne réside pas hors de la terre d’Israël ”.

Il y a cependant une difficulté, car le prophète Ézéchiel prophétisa hors de la terre d’Israël :

“‘Hayo haya’ [‘être il fut’] que la parole de Dieu fut adressée à Ézéchiel, fils de Bouzi le cohen, dans le pays des Chaldéens » [Ézéchiel 1, 3].

La Guemara répond à cette difficulté [Moëd Katan 25a] :

“Que veut dire ce ‘hayo haya’ ? – cela avait déjà été”. 

…et Rachi explique :

“- ce qui avait été cette fois-là ne se reproduirait pas [c’était une prophétie unique en son genre, une ‘exception qui confirme la règle’] ; et certains disent : – lui-même [Ézéchiel] avait été déjà en terre d’Israël, où réside l’inspiration divine” [et après que l’inspiration divine eut résidé sur lui en terre d’Israël, il pouvait continuer d’être éligible à la prophétie même s’il était hors d’Israël].

Dans le livre du Kouzari [2, 14], Rabbi Yéhouda Halévy écrit :

“Quiconque prophétise, ne prophétise qu’en terre d’Israël ou pour elle [c’est-à-dire que si la prophétie concerne la terre d’Israël, elle peut avoir lieu même à l’extérieur]. C’est ainsi qu’Abraham notre père reçut sa première prophétie quand Dieu lui ordonna d’aller vers cette terre [Genèse 12, 1], et qu’Ézéchiel et Daniel prophétisèrent pour elle [de l’extérieur]. En effet, tous les deux avaient vu le Premier Temple avec la splendeur de la Présence divine, qui permettait à tout homme ayant en lui la capacité prophétique de parvenir à la prophétie.

“Quant à la prophétie de Jérémie en Égypte [Jérémie 43-44], elle eut lieu en terre d’Israël et en sa faveur, tout comme celle de Moïse, Aharon et Myriam, car le Sinaï et le Paran sont tous deux dans les limites de la terre d’Israël, ils sont à proximité de la Mer Rouge, et comme l’a statué la parole divine :

‘Je fixerai ta frontière depuis la Mer Rouge jusqu’à la Mer des Philistins, et depuis le désert jusqu’au Fleuve’    [Exode 23, 31]”.


Pourquoi la prophétie n’est-elle possible qu’en terre d’Israël ?

L’opinion de Rabbi Yéhouda Halévy est que la prophétie résulte d’une aptitude spirituelle qui ne peut être réalisée que [1] par le peuple et [2] sur la terre qui possèdent ce potentiel. Il écrit par exemple :

“Tous les enfants de Jacob eurent cette aptitude spirituelle, tous ensemble furent capables de se relier au Divin, c’est pourquoi c’est à eux que revint l’héritage de ce lieu réservé à la révélation du Divin”.    [Kouzari 1, 95]

“As-tu oublié ce que je t’ai dit précédemment au sujet de l’héritage dans la descendance d’Adam le premier homme ? Je t’ai dit qu’au début, la responsabilité de la révélation du Divin n’incombait qu’à un seul homme dans chaque famille, et c’est lui qui était comme la ‘graine’ de ses frères,  qui actualisait l’aptitude spirituelle de son père. C’était lui le récepteur de la lumière divine, et tous les autres n’étaient qu’un résidu qui ne recevait pas cette lumière. Jusqu’à l’arrivée des fils de Jacob, qui étaient tous l’aptitude spirituelle et la ‘graine’. Ils se distinguaient des autre hommes par des qualités divines qui en faisaient une sorte de genre nouveau, angélique…”.   [Ibid. 1, 103]

“Seul un fils d’Israël est apte à la prophétie. Quant aux convertis, le mieux qu’ils puissent faire, quand ils ont reçu la Thora des fils d’Israël, est de devenir des hommes pieux et sages, mais pas des prophètes”.    [Ibid. 1, 115]

“Aussi longtemps que [la Présence divine] résida dans le Temple, tout homme qui en avait l’aptitude accédait à la prophétie”.    [Ibid. 2, 14]

“Les nations mortes qui essayèrent d’imiter la nation vivante parvinrent tout au plus à une ressemblance extérieure. Certes, leurs ressortissants érigèrent des maisons pour la Divinité, mais dans ces maisons aucun signe divin ne se manifesta. Ils pratiquèrent l’ascèse et vécurent en ermites pour faire résider sur eux la prophétie, mais elle ne résida pas sur eux”.    [Ibid. 2, 32]

“[Ceci n’arriva que] lorsque la Présence divine résida en Terre Sainte, sur la nation apte à la prophétie…”.    [Ibid. 3, 1] 

“C’est donc à juste titre que l’Éternel est appelé le ‘Dieu d’Israël’, car cette réceptivité aux visions [divines, prophétiques] n’a été donnée à aucun autre peuple. Et Il a aussi été appelé ‘Dieu de la Terre’ parce que la terre d’Israël, avec son air, son sol et son ciel, forme un ensemble cohérent capable de faire atteindre la prophétie, quand viennent s’y joindre des conditions qui ressemblent à la préparation de la terre agricole, indispensable pour faire pousser certaines espèces végétales”.  [Ibid. 4, 17]   Voir aussi le commentaire Otsar Nehmad sur Kouzari 1, 115.

D’après le Rambam, la prophétie ne relève pas d’une aptitude particulière, mais tout homme peut y accéder. Il dit par exemple :

“Si nous ne devons pas croire à la prophétie de Zid et Omar, ce n’est pas parce qu’ils ne sont pas du peuple d’Israël, comme le croient la plupart, ce qui nous amène à préciser les choses à partir des mots du verset : 

‘un de tes proches, un de tes frères’    [Deutéronome 18, 15].

“En effet, Job, Tsofar, Bildad, Élifaz et Élihou [qui apparaissent dans le Livre de Job], sont tous pour nous des prophètes bien qu’ils ne fissent pas partie du peuple d’Israël. À l’inverse, Hanania fils d’Azzour était un faux prophète bien qu’il fisse partie du peuple d’Israël. Nous devons donc croire un prophète ou le démentir selon sa prophétie, et non selon sa filiation” [Iguéret Teiman, édition de l’Institut du Rav Kook, p. 146].

On en conclut que théoriquement, un non-Juif peut aussi accéder à la prophétie, sauf que pratiquement il n’y parvient pas, parce que sa spiritualité n’est pas suffisamment purifiée pour arriver à un niveau aussi élevé et sublime.

Quant au statut des Sages, que la prophétie ne réside qu’en terre d’Israël, le Rambam l’explique d’après l’enseignement :

“La Présence divine ne réside que dans la joie”.    [Guemara de Chabbat 30b]

En exil il est impossible d’être dans la joie puisque nous sommes soumis au pouvoir des non-Juifs, mais ce n’est pas le cas en terre d’Israël. Voici ce que dit le Rambam dans le Guide des Égarés [2, 36] :

“La prophétie se retirait des prophètes au moment du deuil, ou de la colère, etc. Tu connais les paroles des Sages : 

‘La prophétie ne réside ni dans la tristesse, ni dans l’abattement’.   [Chabbat 30b] 

“Tu sais que Jacob notre père n’eut aucune vision prophétique pendant tout le temps de son deuil, parce que sa faculté imaginative avait été neutralisée lors de la disparition de Joseph ; et aussi que suite à l’affaire des explorateurs, aucune vision ne vint à Moïse comme auparavant, jusqu’à ce que la génération du désert eût péri tout entière ; leur situation était trop grave à ses yeux, à cause de leurs rébellions incessantes… 

“C’est aussi, sans le moindre doute, la raison essentielle et de la cessation de la prophétie au temps de l’exil : quel abattement et quelle tristesse, dans quelque situation que ce soit, peuvent dépasser celle d’être un esclave dominé et asservi par des sots et des méchants qui se caractérisent par l’absence d’une pensée véritable et l’omniprésence des désirs bestiaux, sans qu’on puisse rien y faire. Tel est le sort qui nous a été dévolu, et c’est ce que veut dire le verset : 

‘Ils erreront à la recherche de la parole de l’Éternel, et ils ne trouveront pas’.   [Amos 8, 12]

“Et encore :

‘Son roi et ses princes sont chez des nations sans Thora, et ses prophètes n’ont plus aucune vision’.   [Lamentations 2, 9]. 

“C’est bien cela, et la raison en est claire : le récepteur [et le Rav Yossef Kappah ajoute : la lucidité de l’esprit et l’intégrité de la pensée] est hors service. Et c’est aussi la raison pour laquelle la prophétie nous reviendra telle qu’elle était, à l’époque du Messie, comme il nous a été promis”.

Voir aussi le septième des Huit Chapitres d’introduction au Traité des Pères du Rambam.


Ainsi, d’après l’opinion de Rabbi Yéhouda Halévy, la prophétie est rendue possible en terre d’Israël grâce à l’aptitude particulière de la terre d’Israël, et d’après l’opinion du Rambam, ce potentiel ne peut se réaliser qu’en terre d’Israël parce que c’est là seulement qu’on peut trouver la joie. Dans le présent chapitre d’Orot, le Rav combine ces deux explications : dans la terre d’Israël il y a un potentiel spirituel, c’est lui qui met l’homme en joie, et par là-même son imagination devient “limpide et claire, nette et pure”.

Ceci nous permet de trouver une explication au changement qui se produisit chez le Rav notre maître, après qu’il fut monté en terre d’Israël (voir la note 3.56). C’est en effet seulement en terre d’Israël que nous pouvons trouver la joie, comme l’a écrit le Or ha-Haïm ha-Kadoch, dans son explication du verset Deutéronome 26, 1 :

“      ‘Et ce sera, quand tu arriveras sur la terre…’

“– ‘Et ce sera/véhaya’ a une connotation de joie [Midrach Béréchit Rabba 42, 3], qui indique qu’on ne peut éprouver vraiment la joie qu’en terre d’Israël, comme il est dit :

‘Alors notre bouche sera remplie de rire, et notre langue d’allégresse’   [Psaumes 126, 2].”

Il faut cependant faire la différence entre une situation où notre pays est soumis au pouvoir des non-Juifs, et celle où il est gouverné par Israël, ce qui implique qu’il y a des degrés dans la joie.

Le fait qu’on trouve la joie en terre d’Israël a aussi des conséquences halakhiques. Par exemple, à propos de la bénédiction ‘Chéhéhéyanou’ qu’on dit au moment de la circoncision, le Choulhan ‘Aroukh [Yoré Déah 265, 7] décide :

“Quand le père circoncit lui-même son fils, il dit la bénédiction ‘Chéhéhéyanou’, et si c’est quelqu’un d’autre qui fait la circoncision, certains disent qu’il ne fait pas la bénédiction ‘Chéhéhéyanou’. Mais pour le Rambam, le père fait dans tous les cas la bénédiction ‘Chéhéhéyanou’, et c’est ainsi qu’est tranchée la halakha pour tout le pays d’Israël, pour la Syrie et ses dépendances et pour l’Égypte [qui sont en l’occurrence rattachées à la terre d’Israël]…”.

[…]