Des mots comme “console-toi” ne sont pas une vraie consolation. La vraie consolation ne vient qu’avec la reconstruction [comme nous disons dans les paroles rituelles de consolation des endeuillés : “Nous serons consolés par la reconstruction de Jérusalem”].
Ce qui cause les pleurs de Rachel, c’est que le peuple d’Israël n’est pas ce qu’il devrait être en vérité, et ces pleurs-là nous maintiennent en vie [parce qu’ils marquent notre volonté de nous rétablir – NdT] !
N’est-ce pas l’habitude d’un petit enfant de pleurer ? Quand il s’arrête, les parents s’inquiètent parce qu’ils craignent qu’il soit arrivé quelque chose. C’est seulement quand il recommence de pleurer qu’ils poussent un soupir de soulagement… [Chez l’enfant les pleurs sont donc un signe de vie, puisqu’ils expriment un besoin qu’il cherche à combler – NdT].
C’est de cette manière que nous devons, nous le peuple d’Israël, pleurer sur ce qui nous manque [pour exprimer notre volonté de combler ce manque – NdT]. Dans le Tikkoun Hatsot, nous récitons d’abord le Tikkoun Rahel qui exprime la tristesse de l’exil, puis le Tikkoun Léa qui exprime la joie de la Délivrance.
Dans le même ordre d’idées, la Guemara de Chabbat [88b] raconte :
“Au moment où Moïse est monté au ciel, les anges du Service dirent devant le Saint-Béni-Soit-Il : ‘Maître du monde, que fait parmi nous cet être né d’une femme ?’ ‒ Il leur répondit : ‘il est venu recevoir la Thora’. Ils dirent devant Lui : ‘la bien-aimée recluse, cachée pour Toi pendant 974 générations avant la création du monde, Tu voudrais la donner à un être de chair et de sang ?’… Le Saint-Béni-Soit-Il dit alors à Moïse : ‘Donne-leur une réponse !’…”.
Pourquoi le Saint-Béni-Soit-Il n’a-t-Il pas répondu Lui-même aux anges ? Le Maharal de Prague explique [Drachot ha-Maharal, Drouch ‘al ha-Thora] :
“La réponse est que Dieu donne la Thora à l’homme parce qu’il doit être considéré comme l’être le plus manquant, et qu’il a besoin de combler ses manques comme nous l’avons dit. Et cette réponse ne devait pas venir de Dieu parce que c’était à Moïse de témoigner de son propre manque. L’homme devait reconnaître de lui-même son propre manque, parce que la raison essentielle de lui donner la Thora était de combler ce manque, et que s’il s’était imaginé qu’il était parfait et ne manquait de rien, il n’aurait pas été à même de combler quoi que ce soit. C’est pourquoi Moïse devait répondre lui-même qu’il connaissait son manque.
“C’est pour cette raison que les Sages ont inclus dans les 48 choses par lesquelles on acquiert la Thora [Maximes des Pères 6, 6] le fait de connaître sa place, car l’homme n’est pas à même d’acquérir la Thora s’il ne reconnaît pas le manque dans lequel il se trouve sans la Thora. Celui qui ne connaît pas sa place ni son manque en l’absence de Thora ne se considère pas lui-même comme manquant, et alors la Thora ne peut rien faire pour lui.
“Voilà pourquoi le Saint-Béni-Soit-Il dit à Moïse de leur répondre, car si c’était Lui qui leur avait donné cette réponse sans que Moïse lui-même reconnaisse sa situation, il était injustifié de lui donner la Thora pour y remédier”.
Seul un homme qui reconnaît la nécessité de la Thora pour son âme et son caractère indispensable, seul un homme qui a une soif intense de la Thora de tout son être, seul un homme qui sent qu’il ne pourrait pas vivre sans la Thora, finit par obtenir la Thora. Autrement, il est comme une bouteille vide dont le goulot est bouché : toute l’eau qu’on essayera d’y verser n’y entrera jamais et coulera à l’extérieur (c’est ce qu’avait l’habitude de dire le professeur Naama Leibovitch, et c’est ainsi qu’elle recommandait aux enseignants de scruter [la personnalité de] leurs élèves, et d’essayer de les ‘ouvrir’ par des questions provocatrices).
Il en est de même pour les pleurs de Rachel : seul le sentiment que la terre d’Israël nous manque nous fera finalement y revenir. C’est dans ce sens que nous devons comprendre les paroles de la Guemara de Ta’anit [30b] :
“Rabban Chim’on ben Gamliel dit : ‘celui qui mange et boit le 9 Av, c’est comme s’il mangeait et buvait le jour de Kippour’. Rabbi Akiba dit : ‘celui qui fait un travail le 9 Av n’en verra jamais de bénédiction’. Et les Sages disent : ‘celui qui fait un travail le 9 Av et ne prend pas le deuil pour Jérusalem ne participera pas à sa joie, comme il est dit : ‘Réjouissez-vous avec Jérusalem égayez-vous en elle, tous ses amoureux ! Participez à sa joie, vous tous qui étiez en deuil pour elle’ [Isaïe 66, 10]. Et à partir de là : ‘Quiconque s’endeuille pour Jérusalem est qualifié pour voir sa joie, et quiconque ne s’endeuille pas pour Jérusalem n’est pas qualifié pour voir sa joie’.”
Certes, nous n’avons pas encore fini de pleurer, il reste encore beaucoup de choses pour lesquelles il faut pleurer. Mais il y a malgré tout un adoucissement ! Les pleurs d’aujourd’hui ne ressemblent pas aux pleurs d’il y a 60 ans, ceux de l’époque de la Shoah par exemple.