Dans le chapitre précédent, le Rav écrivait que pour comprendre la valeur de la terre d’Israël on a besoin de “l’esprit divin qui inspire la nation dans sa collectivité”. Ici, il écrit que nous pouvons la comprendre par l’étude des secrets de la Thora, dans la mesure où l’intelligence des secrets dépasse l’intelligence rationnelle. La notion de secrets renvoie à quelque chose qui n’est pas à l’ordre du jour pour le moment, et qui de toute évidence ne sera pas à la portée de l’homme de la rue si on essaye de le lui expliquer (de même que, par exemple, un enfant de 7 ans n’est pas apte à comprendre les problèmes de la vie conjugale). Ainsi, les secrets de la Thora sont les gardiens de questions qui ne sont pas à l’ordre du jour. Il est évident que la plupart des gens ne seront pas aptes à les comprendre, hormis quelques individus d’exception, dont le regard dépasse notre horizon étriqué pour contempler l’avenir lointain.
À l’époque de la Bible, la relation à la terre d’Israël était quelque chose d’absolument naturel. Mais quand le peuple d’Israël fut exilé de sa terre, et qu’une situation fut créée où il était possible de vivre en quelque sorte ‘sans la terre d’Israël’, il y eut un besoin de cacher la valeur de la terre d’Israël dans les secrets de la Thora. C’est pourquoi, pour comprendre aujourd’hui cette notion, il est nécessaire d’étudier la Thora des secrets. […]
Mais comment cette étude, réservée à une élite, peut-elle maintenant concerner un large public ? Ceci nous est expliqué par la Guemara de Pessahim [119a], à propos d’un verset d’Isaïe [23, 18] sur les profits commerciaux de la ville de Tyr :
“Ses gains et ses salaires impurs seront consacrés à l’Éternel. Ils ne seront ni accumulés ni mis en réserve. Les profits de son trafic seront destinés à ceux qui demeurent en présence de l’Éternel, pour manger à satiété et se vêtir de façon somptueuse” [traduction du Rabbinat].
‘Pour se vêtir de façon somptueuse’ est une métaphore expliquée par la Guemara de deux façons apparemment opposées, mais complémentaires :
“Que signifie ‘Pour se vêtir de façon somptueuse’ ? [1] Certains disent : c’est la dissimulation de ce qui a été recouvert par le ‘Somptueux des temps’ [= le Saint-Béni-Soit-Il]. Et de quoi s’agit-il ? ‒ des énigmes de Thora. [2] D’autres expliquent : c’est le dévoilement de ce qui a été recouvert par le ‘Somptueux des temps’. Et de quoi s’agit-il ? ‒ des saveurs de Thora”.
[En remettant tout ensemble : un salaire sera donné à ‘ceux qui demeurent en présence de l’Éternel’, pour dissimuler certains secrets, appelés ‘énigmes de Thora’ ; et un autre salaire sera donné aux mêmes, pour dévoiler d’autres secrets, appelés ‘saveurs de Thora’, parce que leur explication est maintenant à l’ordre du jour – NdT].
Dans les générations passées, ce qui concernait la nation d’Israël faisait partie des énigmes de Thora, alors que maintenant, après la renaissance nationale, ils font partie des saveurs de Thora. Et si l’on demande : “comment le sait-on ?”, il faut répondre : “serions-nous aveugles pour ne pas voir le réveil de la nation, dont le retour à Sion a commencé depuis plus de cent cinquante ans ? Pour ne pas voir que notre peuple en a eu assez d’être réduit à une somme d’individus, et que cela l’a conduit à revenir sur sa terre et à mettre en place son état” ? On doit donc enseigner maintenant les saveurs de Thora qui touchent à la nation d’Israël. Et encore seront-ils difficiles à comprendre pour beaucoup d’entre nous, parce que notre nation est encore cahotante et ‘boiteuse de la hanche’ [cf. Genèse 32, 32, et le commentaire du Ramban sur le verset 26] […].
Un autre exemple de saveurs de Thora (qu’on doit donc enseigner de nos jours) est la notion de service divin dans la joie. Dans les générations passées, il était interdit d’enseigner ce concept, à cause des persécutions perpétrées par les non-Juifs qui nous rendaient la vie amère. Dans un tel contexte, nous devions apprendre à servir le Saint-Béni-Soit-Il sous les coups et les blessures. Mais à l’heure actuelle, où nous ne sommes plus ni tristes ni battus, nous devons enseigner comment revenir vers Dieu dans la joie.
Certes, il serait aberrant d’abandonner les enseignements anciens selon lesquels ce retour se fait dans la soumission et la crainte, et de se complaire désormais dans l’hilarité et l’exubérance. Le Rav lui-même exprime son hésitation dans une lettre :
“Il m’a été particulièrement difficile de fixer ma doctrine, d’évaluer exactement jusqu’où abaisser le seuil des secrets, et où se trouve la limite du ‘vêtement somptueux’”.
Il hésita beaucoup à fixer la ligne de séparation entre les énigmes et les saveurs de Thora ; entre d’un côté la joie, l’énergie, le courage et la fierté nationale [qu’on doit encourager], et de l’autre la crainte révérencielle [qui doit subsister pour limiter les premiers] ; entre d’un côté le service divin dans la joie, l’accomplissement des mitsvot la tête haute, l’étude par libre choix “là où le porte son cœur” [Avoda Zara 19a], et de l’autre l’oisiveté et le laisser-aller. On peut craindre par exemple que celui qui apprend, dans les secrets de la Thora, qu’il faut vivre de manière naturelle et libre, s’estime justifié à ne pas se lever le matin pour la prière parce qu’il ne se sent pas vraiment concerné…
Le Rav hésita pendant 17 ans avant d’écrire les trois premiers chapitres d’Orot Hatechouva, et il ne parvint pas à aller au-delà. C’est son fils, notre maître le Rav Tsvi Yéhouda, qui composa les chapitres supplémentaires à partir des nombreux écrits de son père sur la techouva, et qui finalement publia le livre. Le Rav en fut ravi, et il recommanda “d’étudier Orot Hatechouva sans réserve” […].
Ceci dit, le Sage qui enseigne des secrets de la Thora à un large public doit parler un langage compréhensible. Il ne doit pas dire, par exemple, que “la Terre d’Israël d’en-bas est en correspondance avec la Terre d’Israël d’en-haut”, ni expliquer comment l’idéal de la Terre d’Israël vient se réaliser dans la “sphère de la Royauté”, parce que pour des gens ordinaires ces mots-là ne veulent rien dire. Mais il peut expliquer par exemple que :
“La terre d’Israël n’est pas un élément extérieur, un acquis extérieur à la nation, un simple moyen visant à la rassembler toute entière, à assurer son maintien physique ou même spirituel. La terre d’Israël est une composante intrinsèque de la nation, reliée à elle par un lien vivant, enlacée à elle par les affinités intimes de sa réalité” [ci-dessus, § 1]
…car ce langage-là parle à tout le monde. Mais si l’enseignement est donné en termes ésotériques, celui qui n’a pas été étudié les secrets de la Thora ne pourra pas saisir la dimension secrète sous-jacente à la réalité manifeste. Il ne pourra donc pas comprendre la fonction vitale de la terre d’Israël, ni l’importance essentielle de l’identité propre du peuple d’Israël, surtout si notre état se présente dans des “vêtements souillés” [Zacharie 3, 3]. Faute d’avoir compris cela, un tel homme dira : “Bien sûr la Terre d’Israël est une mitsva, mais il y a 612 autres mitsvot, et on ne peut pas les accomplir toutes…”.
C’est pourquoi il faut étudier en profondeur ce livre des Lumières/Orot, qui est entièrement fondé sur les secrets de la Thora traduits dans notre langue habituelle.