Note 1.35 – L’ancrage à la terre d’Israël – une réalité de notre temps

Le Rav d’une communauté américaine me dit un jour qu’il ne parlait jamais à ses fidèles de la terre d’Israël, bien qu’il fût lui-même un sioniste enthousiaste (il a même fait récemment son aliya), parce que ce sont des choses que les gens ne peuvent pas comprendre. Il leur parlait tout au plus de l’observance du Chabbat et de la cacherout, de la pureté familiale et de l’éducation des enfants, mais pas un mot au sujet de la terre d’Israël.

Dans ce chapitre, le Rav nous explique cette erreur. C’est un mauvais calcul, parce que si la terre d’Israël tombait (à Dieu ne plaise !), tout le judaïsme de l’exil tomberait. Il n’y a pas de judaïsme sans la terre d’Israël. Et si notre but est de revenir sur la terre d’Israël, et d’y édifier l’état d’Israël qui est le socle du trône divin dans ce monde [Orot Israël 6, 7], c’est que notre situation d’exil n’est que temporaire, qu’elle n’est ni normale ni naturelle. Entre temps, nous survivons en gardant la Thora et les mitsvot, mais nous restons dans l’attente du jour où nous retournerons sur notre terre.

Actuellement nous sommes comme un arbre planté dans le désert, et il viendra un jour où nous serons comme un arbre planté dans un verger [Voir Kouzari 2, 9-12]. Nous restons donc fermement attachés à la Thora et aux mitsvot dans la perspective du grand idéal de la Délivrance d’Israël sur sa terre. C’est cet espoir qui nous donne la force de supporter l’exil […].


 Le Talmud de Babylone est tout entier rempli d’amour de la terre d’Israël et de désir ardent pour la terre d’Israël, et c’est grâce à cela que nous avons tenu bon pendant deux mille ans d’exil. On trouve dans la Guemara de Ketoubot [75a] :

Abbayé dit : un d’entre eux [ceux de la terre d’Israël] vaut mieux que deux d’entre nous. Rava dit : et l’un d’entre nous, quand il est monté là-bas, vaut mieux que deux d’entre eux. Voyez Rabbi Yermiya : quand il était ici il ne comprenait rien aux paroles des Sages, et depuis qu’il est monté là-bas il nous appelle ‘Babyloniens stupides’”.

Le Hatam Sofer ajoute l’idée que ce ne sont pas seulement les qualités de l’homme qui se développent quand il monte d’exil en terre d’Israël, mais que les paroles de Thora elles-mêmes grandissent en arrivant en terre d’Israël. Il conclut ainsi l’une de ses réponses [Resp. Hatam Sofer, Yoré Déah, § 233] :

Telles sont les paroles de celui qui réside dans une terre d’obscurité. [Ici,] les mots qui cherchent à s’élever trouvent un souffle trop faible pour les porter. Peut-être, en arrivant dans le pays qui leur convient, doubleront-ils de hauteur, de sagesse, de connaissance et d’utilité pratique ? Et c’est peut-être pour cette raison que le Talmud de Babylone a pu s’élever au-dessus du Talmud de Jérusalem : parce qu’il a été reçu là-bas [en terre d’Israël] !”.

Le Rav Issakhar Chlomo Tayekhtal (que Dieu venge son sang !), dans son livre Em Habanim Semeha [pp. 109-110 de l’édition française], rapporte au nom du Séfer Méïrat ‘Einaïm [du Rav Yaakov Yéhochou’a Falk] :

“La raison pour laquelle les persécutions ont été plus fréquentes dans la communauté de Worms que dans les autres pays est la suivante : les Juifs se sont installés à Worms à l’époque de la destruction du Premier Temple, et quand, après les 70 ans du premier exil, les exilés de Babylone revinrent à Jérusalem et en Terre d’Israël, les habitants de Worms refusèrent d’y retourner. Les Juifs de Jérusalem écrivirent à ceux de Worms, pour leur demander de revenir habiter en Israël afin de participer aux trois fêtes de pèlerinage à Jérusalem dont ils étaient très éloignés. Mais ils n’acceptèrent pas leur invitation, ils répondirent : ‘habitez, vous, la grande Jérusalem, et nous, nous habiterons la petite Jérusalem’, car à cette époque ils étaient devenus des gens importants aux yeux du gouvernement local, et extrêmement riches. 

“C’est la raison pour laquelle les persécutions revinrent sur eux plus que sur les autres communautés de l’exil. Et je voudrais ajouter que c’est peut-être pour cette raison que les pays d’Europe continentale ont toujours été plus hostiles aux Juifs, comme le montre l’histoire des communautés juives depuis le moyen âge jusqu’à nos jours. En effet, c’est toujours là que les malheurs et les persécutions ont commencé. On voit donc que parce que les Juifs ont choisi de se fier à la sécurité de leur pays d’accueil, les malheurs, les persécutions et le bannissement sont venus sur eux. Il en a été ainsi dans tous les pays de l’exil : chaque fois que les Juifs détournent leur pensée du retour en terre d’Israël, le Maître du monde les renvoie vers un nouvel exil et un dur asservissement, pour réveiller en eux le désir de rentrer en terre d’Israël”. 

De même Rabbi Méïr Sim’ha de Dvinsk écrit, dans son commentaire Méchekh Hokhma sur la Thora [Lévitique 26, 44] :

… et le Juif oublie complètement son extraction, il se met dans la peau d’un nouveau citoyen… il pense que Berlin est Jérusalem… Alors vient un vent de tempête impérieux qui le déracine… ”

C’est pourquoi, à tous ceux qui prétendent que nous devons ‘replier les drapeaux’ au sujet de tout ce qui touche à la terre d’Israël, et ne parler que d’éducation, d’action sociale et de pratique religieuse, nous devons dire qu’ils se trompent ! Évidemment, nous ne sommes pas contre l’éducation, l’action sociale et la pratique religieuse, mais tout cela doit se ranger autour du drapeau de la terre d’Israël, faute de quoi tous les drapeaux tomberont à terre ! La terre d’Israël est le drapeau principal, elle tire tous les autres en avant. Tous dépendent de la mitsva d’habiter le pays et de le construire, de la renaissance de la nation et de son retour sur sa terre. Partant de là, il est évident que nous voulons une nation qui garde la Thora et les mitsvot, avec une éducation, une qualité de vie et une solidarité sociale adéquates…


Question : mais est-ce que l’étude de la Thora n’est pas tout ? 

Premièrement : sans  cet ‘état de renégats’ [comme on appelle l’état d’Israël dans certains milieux], tout s’effondrerait ! Les Nétouré Karta, qui s’appelaient autrefois Agoudat Israël, prétendirent qu’on n’avait pas besoin de cet état, et ils lui firent même la guerre. Ils essayèrent à tout prix d’empêcher la Déclaration Balfour [et c’est contre cette manœuvre que le Rav écrivit sa ‘Révélation d’une affaire de trahison nationale’, publiée dans le livre Maamarei Réaïa p. 331 ; voir aussi le contexte de cette prise de position, p. 554, et dans le recueil Léchlocha Be-Éloul 1ère partie, § 64]. Plus tard, ils agirent contre la création de l’état d’Israël. Ils voulurent faire alliance avec les Arabes sous condition qu’ils les laissent vivre tranquilles, étudier la Thora et pratiquer les mitsvot. Heureusement, le Saint-Béni-Soit-Il déjoua leurs plans. Après la création de l’état, ils prétendirent que cet état avait été créé dans la faute, et que par conséquent il ne pouvait que tomber… Force est de constater que jusqu’à présent cet état n’est pas tombé, et qu’il n’a cessé au contraire de se renforcer. Tout le monde reconnait aujourd’hui que si l’état d’Israël, Dieu nous en préserve, tombait, tout tomberait. Tout le ‘monde de la Thora’ tomberait, car la Thora de Russie a disparu, et même la Thora d’Amérique s’étiole peu à peu, au point que les rabbins américains envoient leurs enfants étudier la Thora en Israël.

Deuxièmement : l’étude de la Thora est effectivement la base de tout, mais il faut faire la différence entre la Thora de l’exil et la Thora de la terre d’Israël. Celui qui enseigne aujourd’hui la Thora de l’exil pousse tout le peuple d’Israël à sa perte ! Certes, nous ne dénigrons pas, par exemple, l’étude de la Guemara, mais la question est de savoir s’il faut se limiter à étudier une partie de la Thora [celle qu’on étudie aujourd’hui dans les yechivot ‘orthodoxes’], ou s’il faut étudier la Thora dans son intégrité. En exil, nous n’avons étudié qu’une partie de la Thora, à part quelques individus d’exception [qui ont exploré tous ses domaines]. On peut comparer cette situation à celle d’un célibataire et d’un homme marié : le célibataire n’a pas besoin d’étudier les lois de la vie conjugale, alors que l’homme marié en a l’obligation, même avant son mariage, pour que celui-ci ne tourne pas au désastre. Ainsi dans notre génération, où nous avons eu la chance de revenir en terre d’Israël pour nous ‘marier’ avec elle, si nous n’étudions pas les lois relatives à la vie du peuple sur sa terre, tout ira s’échouer sur les hauts fonds ; la Thora, le peuple, le pays, tout sera ruiné !


Le Rav écrit dans une lettre [Igrot # 378] :

“Si un homme venait avec de grandes idées novatrices sur tout ce qui a trait la techouva de notre temps… [l’enseignement ancien reste bien entendu valide et saint, mais le peuple d’Israël s’en éloigne de plus en plus, et nous avons donc l’obligation de renouveler notre réflexion sur la techouva.]… sans porter son attention sur le ‘signe évident de la fin’, ni sur la Délivrance qui nous éclaire de sa lumière, il ne pourrait appréhender aucune chose dans le sens de la véridicité de la Thora.

Explication : Nous trouvons l’expression ‘vérité véridique’ dans la Guemara de Baba Batra [8b], à propos du verset : “Les perspicaces resplendiront comme l’éclat du firmament” [Daniel 12, 3]. La Guemara dit : “On parle ici d’un juge qui rend un jugement de ‘vérité véridique’”, et les Tossefot précisent : “‒ à l’exclusion d’un jugement faussé”.

Le Gaon de Vilna explique [voir son commentaire sur Deutéronome 16, 16] que toute décision halakhique doit être fondée sur deux conditions nécessaires : la connaissance de la Thora et la connaissance de la réalité. Un décisionnaire qui n’a pas une bonne connaissance de la réalité tranchera de manière inappropriée. Il pourra par exemple décider que le foie qui est devant lui est cacher, et du point de vue de la première condition, celle de la connaissance de la Thora, son raisonnement sera irréprochable, mais dans la réalité ce qu’il a devant lui n’est pas du foie mais de la rate ! Son discours sera vrai formellement, mais pas ‘véridiquement’, et sa conclusion halakhique sera fausse.

Ce que dit le Rav rentre dans le même cas : si un homme vient renouveler le sujet de la ‘techouva’, mais qu’il n’a pas une bonne connaissance de la réalité et ne voit pas que le peuple d’Israël se lève pour revivre, il enseignera une Thora mal fondée, disqualifiée du point de vue de la ‘vérité véridique’. Une telle Thora se réfère à une réalité différente, elle reste du domaine de l’abstraction, et ses décisions halakhiques seront fausses. Plus précisément, ses décisions concernant les sujets anciens [les questions qui se posent de la même manière aujourd’hui qu’autrefois, telles que les lois de Chabbat ou les lois des tsitsith] seront correctes, mais pour tout ce qui touche aux problématiques nouvelles, elles seront à côté du sujet, et ses verdicts seront faux, par simple ignorance de la réalité. 

Il ne fait donc pas de doute que la Thora est la base de tout, mais à notre époque nous devons l’étudier en ayant conscience que nous nous relevons vers la vie. Ce principe est développé en détails dans tout le livre Orot. Il a aussi des conséquences sur la manière d’étudier la Thora dans notre génération, et ceci est expliqué dans le livre ‘Ikvé Hatson. Un homme qui ne connaît pas la génération lui enseigne des choses qui ne lui conviennent pas. C’est comme s’il faisait de sublimes discours de Thora en langue turque à quelqu’un qui ne parle que l’italien…


On raconte l’histoire de deux professeurs qui firent leur aliya d’Allemagne dans les années 30, et qui commencèrent de travailler sur un chantier de bâtiment. L’un d’eux essaya de planter un clou dans le mur, mais sans succès, parce qu’il tenait le clou à l’envers… Son compagnon le Professeur Salzenbuch lui dit : “Professeur Auenbuch, ce clou appartient au mur d’en-face !”… Telle est la Thora que beaucoup enseignent aujourd’hui : elle est de grande valeur, mais destinée à l’autre mur, au mur d’il y a trois cents ans. Et par rapport au mur d’aujourd’hui, “le clou est à l’envers”, et sans effet.

[…]