1 – On traduit d’habitude ‘emet’ par le mot ‘vérité’ – il n’y a que Dieu qui la détient. Plus on se rapproche de Dieu, plus on s’efforce de connaître la volonté de Dieu, et plus on se rapproche de la vérité. Personne ne peut détenir la vérité absolue, un être humain ne peut percevoir et dévoiler qu’un aspect de la vérité.
2 – Il est important d’en être conscient, pour éviter les frictions émotionnelles entre les différents mouvements de pensée. Il est évident que chacun doit lutter de toutes ses forces pour défendre la vérité à laquelle il croit, et ajouter ainsi sa pierre à l’édifice de la vérité. Mais il ne doit jamais oublier que sa propre vision des choses n’en est qu’une approche possible, et que chez tout rival idéologique il y a aussi une part de vérité et de divinité. La poursuite de la vérité exige donc une grande souplesse intellectuelle : il ne faut pas être borné, et il ne faut pas hésiter, si l’on rencontre une vérité supérieure, à renoncer totalement à ses anciennes convictions pour adhérer à cette vérité plus authentique.
3- La poursuite véritable du emet est la seule manière d’arriver au véritable chalom. Le chalom n’est pas un simple cessez-le-feu pour pouvoir vivre ensemble d’une manière ou d’une autre. Chalom est apparenté au mot hachlama, qui renvoie aux notions de complétude et de complémentarité. C’est-à-dire que tout essai d’arriver au chalom par les bonnes manières, la politesse et l’indulgence, mais alors que chacun est intimement convaincu d’être le seul détenteur de la vérité, est voué à l’échec. Tôt ou tard les motivations profondes se réveilleront et provoqueront des conflits. Le respect sincère de la part de vérité qui est chez l’autre est la condition indispensable du véritable chalom.
4 – La vérité scientifique, elle non plus, n’est pas la vérité absolue, c’est une interprétation de la réalité confirmée par l’expérience dans des conditions données, mais qui cédera la place à une théorie plus grande qui la contiendra, quand le progrès des connaissances le permettra.
5 – Ce qui reste à dire, c’est que plus on approche de la vérité divine qui, dans sa dimension révélée, comprend tout en elle et peut tout expliquer, plus on est porté à une certaine ‘kanaout’ [= intransigeance zélée pouvant tourner à l’intolérance et à l’exclusion de l’autre]. Les religions idolâtres sont plus tolérantes, dans la mesure où elles ne prétendent pas à l’universalité. Chez elles, la diversité des croyances n’est pas ressentie comme une atteinte à la vérité. Mais le judaïsme est le monothéisme absolu. Il considère toutes les approches idéologiques, fruits de la réflexion de l’homme, comme a priori légitimes, mais dans les limites du respect de la vérité révélée par le Dieu unique, qui englobe tout et donne sa place à tout.
Le Rav Kook dans Orot donne cet exemple : avant la découverte de Newton, il y avait toutes sortes de théories plus ou moins farfelues pour expliquer les phénomènes astronomiques. Et voilà que Newton trouve à expliquer toute la mécanique céleste par l’unique formule de la loi de la gravitation, vérifiée par toutes les données expérimentales. Dès lors, comment aurait-on pu justifier de recourir à des théories périmées ? L’intelligence, qui est l’image de marque de l’humanité créée à la ressemblance divine, oblige à considérer la théorie de Newton comme exacte et exclusive, et à rejeter les croyances obsolètes. C’est le simple choix de la vérité, et non un acte d’intolérance.
Il doit en être ainsi pour la croyance dans la vérité révélée par Dieu. Cependant, ce caractère ‘exclusif’ de la vérité divine débouche en réalité sur la tolérance authentique : sachant que la vérité divine continent tout en elle, je sais que rien n’existe dans ce monde qui n’exprime une part de cette vérité. Donc quand j’ai affaire à un rival idéologique qui vient contredire la Thora, je dois savoir qu’il y a forcément dans sa théorie une parcelle de vérité, et je dois être capable de l’écouter d’une manière qui me permette de l’entendre, et de comprendre ce qui anime cet homme et ce qui l’enthousiasme. Si j’en suis capable, non seulement je pourrai faire triompher la vérité dans le débat, mais en mettant en évidence le point d’ancrage de mon adversaire dans la vérité authentique, je lui donnerai le moyen de réévaluer sa position, et de rapprocher son point de vue de la Thora.