6. “Le sage est plus grand que le prophète”


6.1. Lumière permanente et éclairs furtifs

6.2. Connaissance intellectuelle globale et vision personnelle subjective

6.3. Intellect et imagination


Les sages, qui sont les élèves de Moché notre maître, sont d’un certain point de vue plus grands que les prophètes. Comment cela est-il possible ?

Il est vrai que le prophète est dans une très grande proximité du Maître du monde, il entend les paroles de l’Éternel, et pas seulement quand Dieu se dévoile à lui en particulier pour lui délivrer une prophétie, mais même quand Il se dévoile à un autre prophète. Il entend les paroles transmises à tous les prophètes :

Car l’Éternel-Dieu ne fait rien sans avoir dévoilé son secret à ses serviteurs les prophètes.  [Amos 3, 7]

Tous se trouvent au niveau de pouvoir entendre les paroles divines.

Quant au sage, n’est-il pas arrivé au niveau de la parole divine ? À la vérité il l’est, mais [d’une autre manière :] un sage de la Thora est un élève de Moché notre maître, c’est un petit élément de quelque chose de très grand, et nous voyons que même la prophétie dépend de la sagesse :

Soit : “Nous acquerrons un cœur de sagesse” ; soit : “Le prophète, cœur de sagesse”.  [Psaumes 90, 12]

Et qui dépend de qui ? Je dirai : le plus petit dépend du plus grand [Baba Batra 12a ; Rav Kook, Orot p.120] ; la sagesse est donc plus grande que la prophétie.

Reste à préciser en quoi :

Le sage est plus grand que le prophète.  [Baba Batra 12a ; Rav Kook, Orot, Zeronim 2, p.120]

6.1. Lumière permanente et éclairs furtifs

Il est dit dans le Zohar que les sages sont plus grands que les prophètes en tout temps. En effet, tantôt les prophètes sont habités par l’inspiration sainte et tantôt ils ne le sont pas, alors que l’inspiration sainte ne s’écarte jamais des sages, ne fût-ce qu’un instant, car ils ont connaissance de l’ordre des choses sans avoir besoin d’un dévoilement prophétique. S’il n’y avait pas les sages, les hommes ne connaîtraient ni la Thora, ni les mitsvot du Maître du monde, et l’esprit de l’homme ne serait pas différent de celui de la bête [Zohar Chemot 6, 2]. La prophétie est sublime mais elle n’est pas permanente. La prophétie est comme un éclair, comme une explosion de lumière au sein de l’âme. Tantôt les éclairs se succèdent, tantôt beaucoup de temps les sépare [Rambam, Introduction au Guide des Égarés ; Rav Kook, Orot Hakodech I, p.186]. Quand un prophète reçoit une prophétie, il tombe à la renverse [Rambam, Lois des Fondements de la Thora 7, 2], il est consumé de l’intérieur :

Ma magnificence se renverse sur moi en annihilation.  [Daniel 10, 8]

C’est comme un courant à haute tension qu’on fait passer dans un appareil de faible capacité, ce qui provoque son explosion. Le prophète est forcé ou séduit [voir Jérémie 20, 7]. Il a besoin de sortir de lui-même pour recevoir la prophétie, de se dépouiller de sa corporalité [voir Choulhan Aroukh, Orah’ Haïm 98, 1]. Il est impossible que cela continue tout le temps. C’est justement parce que la prophétie est sublime, parce qu’elle est transcendante à l’homme, qu’elle ne peut pas être permanente.

À l’opposé de la prophétie, la lumière de la sagesse, la lumière de la Thora, n’a pas la puissance des éclairs et des explosions. C’est une lumière douce et modeste, mais c’est une lumière permanente. Elle est faite pour celui qui médite la Thora jour et nuit :

Médite ton amour pour elle sans cesse !  [Proverbes 5, 19]

Pour lui, la lumière de la Thora est tendre, douce et éternelle, dans toutes les situations.

La prophétie est donc plus élevée et plus sublime, mais elle n’est pas continue. Quant à la Thora des sages, c’est un dévoilement divin de niveau inférieur, mais continu.

6.2. Connaissance intellectuelle globale et vision personnelle subjective

Il est dit dans le Zohar que ceux qui consacrent leurs efforts à la Thora se tiennent en-haut, dans un endroit qui s’appelle ‘Tiféret’ [=’magnificence’], et que les prophètes se trouvent en-bas, dans un endroit qui s’appelle ‘Netsah vé-Hod’ [=’éternité et splendeur’]. Par conséquent, ceux qui consacrent leurs efforts à la Thora ont l’avantage sur les prophètes, ils leur sont supérieurs [Zohar parachat Tsav 35, 1]. Comment pouvons-nous comprendre que les sages sont supérieurs aux prophètes ? – C’est que les prophètes parlent de ce qu’ils ont vu et rencontré dans leur réalité à eux, alors que les sages ne suivent pas leur démarche personnelle, mais celle de la Thora de Moché notre maître, en s’appuyant sur ses enseignements. C’est pourquoi ils ont une approche plus globale, et ils sont plus grands.

À quoi la chose ressemble-t-elle ? À un astronaute qui s’est posé sur la lune, et qui nous raconte de là-bas ce que voient ses yeux de la réalité à laquelle il est confronté. Alors vient un autre homme qui n’a jamais été là-haut, et qui lui aussi nous raconte dans les moindres détails ce qui se trouve sur la lune. D’où le sait-il ? Il a un livre d’astronomie. Avec l’aide du livre, il sait des choses que l’astronaute ne peut pas voir. Et à partir de ce qu’il a appris dans les livres, ce savant pourra dire aussi ce qui se passe sur le soleil, là où aucun astronaute ne pourra jamais aller.

Le prophète a été dans des régions spirituelles que le sage n’a jamais fréquentées. Mais le sage connaît des lieux et arrive à des connaissances que le prophète ne peut pas atteindre [Zohar, parachat Tsav 35, 1 ; Maharal, Discours de Chabbat Chouva p.4 ; Guevourot Hachem, Introduction 1 ; Tiféret Israël chap.57].

Le prophète était là, et il a vu réellement. Là, le Maître du monde s’est révélé à lui à ce sujet. C’est le prophète lui-même qui a entendu et saisi ces choses sublimes, qui s’est élevé jusqu’à ces niveaux suprêmes, lui-même, et non à l’aide d’un livre. Quant au sage, il n’était ni là, ni ailleurs, mais il est arrivé par sa compréhension abstraite à des régions que le prophète ne peut atteindre. Il y a des niveaux élevés que le prophète ne peut pas saisir, mais que les sages connaissent par la force des connaissances qu’ils ont reçues de Moché notre maître. Par exemple, nos sages enseignent :

Tous les prophètes ont prophétisé sur les jours du Messie, mais quant au monde à venir, “aucun œil n’a vu, Dieu, à part toi, ce qui sera fait pour celui qui l’attend”. [Berakhot 34b ; Isaïe 64, 3, d’après André Chouraqui]

Même l’œil des prophètes, qui voit très loin, ne voit pas ce qui est attendu dans le monde à venir. Et pourtant, la Guemara pose dans la suite la question : qu’est-ce que “Aucun œil n’a vu” ? Autrement dit, quelles sont ces choses que l’œil n’a pas vu, même pas l’œil des prophètes ? Et la Guemara continue : “C’est ‘le vin vieux’, c’est ‘l’Éden’”. C’est-à-dire que les sages nous expliquent quelles sont ces choses que les prophètes n’ont pas vues, en vertu de la sagesse et de la tradition reçues de Moché du Sinaï. L’œil de Moché notre maître voit beaucoup plus loin que celui des prophètes, jusqu’à l’infini, jusqu’à la fin des temps ; il voit des mondes plus élevés, plus lointains et plus secrets que l’œil des prophètes ne peut apercevoir. Les sages ont reçu de Moché notre maître des connaissances qui s’étendent jusqu’à ces mondes supérieurs et secrets. Les sages ‘savent’, les prophètes ‘voient’. Il n’y a pas à comparer la connaissance du prophète avec celle du sage, de même qu’il n’y a pas à comparer la présence sur la lune avec la lecture d’un livre sur la lune, ou l’ascension des montagnes de l’Himalaya pendant quatre mois avec le visionnage d’un film sur le même sujet pendant un quart d’heure. Le prophète ‘voit’ : à partir d’une montée en sainteté et d’un lien étroit avec le Maître du monde, il arrive à capter la parole divine. Le sage ne fait que ‘savoir’, ce n’est pas à partir d’une élévation sublime qu’il atteint la connaissance, mais à partir de l’étude, l’étude des concepts de la Thora. Et en partant de la Thora de Moché il arrive, par son intelligence et par ses connaissances, à des mondes secrets auxquels seul Moché notre maître est arrivé, à l’exclusion des autres prophètes.

6.3. Intellect et imagination

Le prophète ‘voit’ au moyen de l’imagination :

Et au moyen des prophètes j’activerais l’imagination ?!  [Osée 12, 11]

Bien-entendu, il s’agit d’un imaginaire sublime et non pas enfantin. Quant à la Thora et à la sagesse de nos sages, elle passe par l’intellect. L’intellect est plus précis que l’imagination. L’imagination, toute sublime et véridique qu’elle puisse être, ne peut pas être aussi précise que la Thora. Le Zohar affirme : “Et au moyen des prophètes j’activerais l’imagination” – c’est la vision qui n’est pas limpide [Zohar, parachat Bo 42, 2]. Bien sûr, l’imagination des prophètes est plus lumineuse et plus limpide que notre intellect, mais malgré tout elle est moins claire que la vision limpide de la sagesse de Moché. La prophétie de Moché est une sagesse qui surpasse la prophétie, et de ce fait elle est beaucoup plus claire. Chez les élèves de Moché notre maître, qui consacrent toute leur énergie à la Thora pendant toute leur vie, et qui sont constamment saisis par son amour, les enseignements sont plus clairs que les paroles des prophètes.