4. La formation du peuple – par opposition

La passage des individus au peuple a déjà été promis aux Patriarches. À Avraham il a été dit :

Je ferai de toi un grand peuple.

Genèse 12, 2.

Dieu lui fait savoir dans l’Alliance entre les Morceaux que cette transformation se fera par la descente en Égypte :

Ils les asserviront et ils les exploiteront quatre cents ans… et à la quatrième génération ils reviendront.

Ibid. 15, 13-16.

L’explication de cette parole est révélée à Yaakov notre père :

Ne crains pas de descendre en Égypte, car Je ferai de toi un grand peuple là-bas.

Ibid. 46, 3.

La formation du peuple d’Israël aura lieu précisément là-bas, dans le creuset de fer de l’Égypte. Pourquoi ? L’être se développe aussi par la contradiction et la lutte : le monde a été créé depuis le tohu-bohu, la lumière est venue après l’obscurité, le jour est venu après la nuit. La compréhension des concepts jaillit aussi de l’exposé des contraires [Maharal, Netsah Israël, chap. 1]. Dans le développement personnel aussi nous procédons en faisant sortir le pur de l’impur, par exemple : Avraham de Térah, et Moché, le dirigeant d’Israël, de la maison de Pharaon où il a grandi. Même le peuple d’Israël se développe et prend corps à partir de l’antagonisme et de la lutte avec la manière d’être de l’Égypte qui s’oppose à lui par son impureté. Comme le dit le Maharal : ❝L’être naît du manque❞.

Deux forces participent ensemble à la construction : la poussée et la réaction [voir Olat Haréaïa II, p. 263 sur la Hagada de Pessah, ‘Ha Lahma Ania’ ; Maharal, Gevourot Hachem, début du chap. 4]. L’éducation, la consolidation et la mise à l’œuvre des qualités humaines, personnelles ou collectives, se font par le conflit et la lutte. Les traits de caractère se fixent et se consolident seulement s’ils se consolident en surmontant des oppositions, extérieures ou intérieures. Tout ce qu’un homme acquiert par la lutte lui appartient vraiment et fait partie de lui-même. Les choses acquises sans effort sont aléatoires et elles ne sont pas rattachées à l’identité essentielle.

Il est clair que l’effort nécessaire aux bons choix et au renforcement, qui consolide la personnalité, est effectué sur la base de la ségoula, sur la base de certains dons cachés, que le choix et l’effort viennent révéler et mettre à l’œuvre [voir Netivot Israël I, p. 8]. Le choix humain ne peut pas créer l’existence à partir du néant. Le choix n’a pas le pouvoir de créer quelque chose de nouveau, des forces nouvelles qui ne seraient pas déjà enfouies dans l’homme ou dans le peuple. D’un animal nous ne pourrons jamais faire un homme. Mais le choix et l’effort peuvent révéler et mettre à l’œuvre des qualités potentielles et les dévoiler dans la vie sous une forme solide et permanente.

C’est ainsi que la définition, selon laquelle ce serait l’antisémitisme qui a formé le peuple d’Israël [Sartre], relève elle-même de l’antisémitisme et du mensonge. Mais il est vrai que le philosophe qui l’a émise est revenu dessus avant sa mort.

Question :

S’il en est ainsi, pourquoi ne pas éduquer nos enfants dans des cadres professant des cultures différentes, même si elles sont négatives, pour leur offrir l’opportunité de se confronter ?

Réponse :

La lutte, c’est-à-dire la rencontre avec l’obstacle et la nécessité de le surmonter, sont nécessaires à l’éducation. Mais il n’y a pas besoin de les inviter, ils s’invitent eux-mêmes suffisamment. Pourvu que nous arrivions à tenir dans les situations difficiles que la réalité ordinaire de la vie invite chez chaque homme, et chaque peuple, selon sa situation ! Notre rôle est de fournir des armes à l’homme, et de le préparer à la confrontation, de sorte que lorsque vient le temps de la mise à l’épreuve il tienne bon. S’il a un point d’appui, une base de émouna, il peut supporter le lourd fardeau des difficultés, mais sans préparation adéquate il échoue. Il est interdit de soumettre des gens à l’épreuve sans qu’ils aient acquis les capacités subjectives de se mesurer à elles. C’est vrai qu’on n’a pas à créer de ❝serres❞ artificielles pour protéger l’homme de la vie elle-même. Mais il y a un besoin vital de former et de consolider la personnalité, et de la renforcer quand elle est encore dans la fraîcheur de la jeunesse, même au moyen de serres éducatives, pour qu’elle grandisse dans la foi, pour que l’homme arrivant à maturité puisse se mesurer avec succès aux embûches qui parsèment sa route. Cela fait penser à ce que disait un grand scientifique [Archimède] : ❝Donnez-moi un point d’appui et je soulève le monde❞. Avant tout il faut donner à l’enfant un fond de émouna pour se tenir debout.

Le combat, les jours sombres, ne sont pas quelque chose d’attirant. La victoire de l’homme a un prix : Yaakov notre père lutte contre l’ange et l’emporte, mais il reste boiteux de la hanche. Les Bné Israël passent par le creuset de fusion de l’Égypte, mais beaucoup sont ❛brisés❜ par cette marche longue et difficile : ils pratiquent l’idolâtrie et ils sont enfoncés dans 49 mesures d’impureté. Mais en fin de compte, ils se sont construits par la lutte, au niveau individuel et au niveau collectif. En passant par le creuset à fer de l’Égypte, les Bné Israël se transforment d’une famille en un peuple.

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